Georges Bizet — Vous ne priez pas

Mon bien-aimé, dans mes douleurs Je viens de la cité des pleurs Pour vous demander des prières Vous me disiez, penché vers moi : « Si je vis, je prierai pour toi. » Voilà vos paroles dernières Hélas! hélas! Depuis que j'ai quitté vos bras Jamais je n’entends vos prières Hélas! hélas! J'écoute, et vous ne priez pas! Combien nos doux ravissements Ami, me coûtent de tourments Au fond de ces tristes demeures! Les jours n'ont ni soir ni matin; Et l’aiguille y tourne sans fin Sans fin, sur un cadran sans heures: Hélas! hélas! Vers vous, ami, levant les bras J'attends en vain dans ces demeures! Hélas! hélas! J'attends, et vous ne priez pas! « Puisse au Lido ton âme errer, » Disiez-vous, « pour me voir pleurer! » Elle s'envola sans alarme Ami, sur mon froid monument L'eau du ciel tomba tristement Mais de vos yeux, pas une larme Hélas! hélas! Ce Dieu qui me vit dans vos bras Que votre douleur le désarme! Moi seule, hélas! Je pleure, et vous ne priez pas Quand mon crime fut consommé Un seul regret eût désarmé Ce Dieu qui me fut si terrible Deux fois, prête à me repentir De la mort qui vint m'avertir Je sentis l'haleine invisible Hélas! hélas! Vous étiez heureux dans mes bras Me repentir fut impossible Hélas! hélas! Je souffre, et vous ne priez pas Souvenez-vous de la Brenta Où la gondole s'arrêta Pour ne repartir qu’à l’aurore; De l'arbre qui nous a cachés Des gazons... qui sont penchés Quand vous m’avez dit : « Je t'adore. » Hélas! hélas! La mort m'y surprit dans vos bras Sous vos baisers tremblante encore Hélas! hélas! Je brûle, et vous ne priez pas Rendez-les-moi, ces frais jasmins Où, sur un lit fait par vos mains Ma tête en feu s'est reposée Rendez-moi ce lilas en fleurs Qui, sur nous secouant ses pleurs Rafraîchit ma bouche embrasée Hélas! hélas! Venez m’y porter dans vos bras Pour que j'y boive la rosée Hélas! hélas! J'ai soif, et vous ne priez pas Dans votre gondole, à son tour Une autre vous parle d'amour; Mon portrait devait lui déplaire Dans les flots son dépit jaloux A jeté ce doux gage, et vous Ami, vous l'avez laissé faire Hélas! hélas! Pourquoi vers vous tendre les bras? Non, je dois souffrir et me taire Hélas! hélas! C'en est fait, vous ne prîrez pas Adieu ! je ne reviendrai plus Vous lasser de cris superflus Puisqu'à vos yeux une autre est belle Ah ! que ses baisers vous soient doux! Je suis morte, et souffre pour vous! Heureux d'aimer, vivez pour elle Hélas! hélas! Pensez quelquefois dans ses bras A l'abime où Dieu me rappelle Hélas! hélas! J'y descends, ne m'y suivez pas!


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